QUENEAU Raymond

[1903-1976]

« L’humour est une tentative pour décaper les grands sentiments de leur connerie. »
— Journal

« On ne peut rien dire de Dieu, même qu’il n’existe pas. »
— Ibid.

« Avoir un système borne son horizon ; n’en avoir pas est impossible. Le mieux est d’en posséder plusieurs. »
— Ibid.

« Il ne me reste plus que la latitude d’aller me coucher sur la longitude de mon pieu. »
— Le vol d’Icare

« L’orthographe est plus qu’une mauvaise habitude, c’est une vanité. »
— Bâtons, chiffres et lettres

« Le Paris que vous aimâtes
N’est pas celui que nous aimons
Et nous nous dirigeons sans hâte
Vers celui que nous oublierons. »
— L’Amphion

« L’erreur, le crime et l’adultère : voilà tout ce qui rend les hommes intéressants. »
— Pierrot mon ami

« – Ca m’arrive souvent de ne penser à rien.
– C’est déjà mieux que de ne pas penser du tout. »
— Ibid.

Qu’est-ce que c’est au juste qu’une tante? lui demanda familièrement Zazie en vieille copine. Une pédale? une lope? un pédé? un homosexuel?
Y a des nuances?
— Zazie dans le métro

« La vie? Un rien l’amène, un rien l’anime, un rien la mine, un rien l’emmène.»
— Ibid.

Les chiens d’Asnières

On enterre les chiens on enterre les chats
on enterre les chevaux on enterre les hommes
on enterre l’espoir on enterre la vie
on enterre l’amour – les amours
on enterre les amours – l’amour
on enterre en silence le silence
on enterre en paix – la paix
la paix – la paix la plus profonde
sous une couche de petits graviers multicolores
de coquilles Saint-Jacques et de fleurs multicolores

il y a une tombe pour tout
à condition d’attendre
il fait nuit il fait jour
à condition d’attendre

la Seine descend vers la mer
l’île immobile ne descend pas
la Seine remontera vers sa source
à condition d’attendre
et l’île naviguera vers le Havre de Grâce
à condition d’attendre

on enterre les chiens on enterre les chats
deux espèces qui ne s’aiment pas.

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Tant de sueur humaine

Tant de sang gâté
Tant de mains usées
Tant de chaînes
Tant de dents brisées
Tant de haine
Tant d’yeux éberlués
Tant de faridondaines
Tant de faridondés
Tant de turlutaines
Tant de curés
Tant de guerres et tant de paix
Tant de diplomates et tant de capitaines
Tant de rois et tant de reines
Tant d’as et tant de valets
Tant de pleurs tant de regrets
Tant de malheurs et tant de peines
Tant de vies à perdre haleine
Tant de roues et tant de gibets
Tant de supplices délectés
Tant de roues tant de gibets
Tant de vies à perdre haleine
Tant de malheurs et tant de peines
Tant de pleurs tant de regrets
Tant d’as et tant de valets
Tant de rois et tant de reines
Tant de diplomates et tant de capitaines
Tant de guerres et tant de paix
Tant de curés
Tant de turlutaines
Tant de faridondés
Tant de faridondaines
Tant d’yeux éberlués
Tant de haine
Tant de dents brisées
Tant de chaînes
Tant de mains usées
Tant de sang gâté
Tant de sueur humaine.

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Art poétique

Prenez un mot prenez en deux
faites les cuir’ comme des oeufs
prenez un petit bout de sens
puis un grand morceau d’innocence
faites chauffer à petit feu
au petit feu de la technique
versez la sauce énigmatique
saupoudrez de quelques étoiles
poivrez et mettez les voiles
Où voulez vous donc en venir ?
A écrire Vraiment ? A écrire ?

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L’instant fatal

Un poème c’est bien peu de chose
à peine plus qu’un cyclone aux Antilles
qu’un typhon dans la mer de Chine
un tremblement de terre à Formose
Une inondation du Yang Tse Kiang
ça vous noie cent mille Chinois d’un seul coup
vlan
ça ne fait même pas le sujet d’un poème
Bien peu de chose

On s’amuse bien dans notre petit village
on va bâtir une nouvelle école
on va élire un nouveau maire et changer les jours de marché
on était au centre du monde on se trouve maintenant
près du fleuve océan qui ronge l’horizon

Un poème c’est bien peu de chose.

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Un poème

Bien placés bien choisis
quelques mots font une poésie
les mots il suffit qu’on les aime
pour écrire un poème
on ne sait pas toujours ce qu’on dit
lorsque naît la poésie
faut ensuite rechercher le thème
pour intituler le poème
mais d’autres fois on pleure on rit
en écrivant la poésie
ça a toujours kékchose d’extrème
un poème.

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