GHRENASSIA Patrick

Patrick GHRENASSIA est professeur agrégé de philosophie et a proposé – ci-dessous – des plans de dissertations pour l’épreuve de philosophie au bac S de l’année 2019.


Les trois sujets – ci-dessous – ont été traités durant les trois heures de l’épreuve.


1er sujet :


« La pluralité des cultures fait-elle obstacle à l’unité du genre humain ? »

La problématique du sujet

• Nous constatons que, contrairement aux espèces animales, le genre humain est divisé en cultures différentes, voire opposées : diversité de langues, de religions, de coutumes alimentaires ou vestimentaires, de pratiques artistiques, de conceptions sociales et politiques.

• Dès l’Antiquité, les Grecs excluaient les esclaves et les barbares de l’humanité proprement dite. Montesquieu se demandait « Comment peut-on être Persan ? ». Aujourd’hui encore, certains parlent de « choc des cultures » à propos des phénomènes migratoires ou de conflits politico-religieux.

• La question est donc posée de l’unité du genre humain : si la diversité et les divisions entre humains paraissent évidentes, qu’est-ce qui peut en assurer l’unité par-delà ces différences culturelles ? Autrement dit, qu’est-ce qu’être universellement un être humain ?

Plan détaillé

1. La pluralité des cultures divise le genre humain

A. QUELLES DIFFÉRENCES CULTURELLES ?

• Depuis le récit biblique de la tour de Babel, c’est d’abord la pluralité des langues qui divise l’humanité. Elle est présentée comme une punition divine censée affaiblir les hommes. Les Grecs appelaient « barbares » les peuples qui ne parlaient pas grec, et donc prononçaient une langue incompréhensible. Depuis, les philosophes, comme Leibniz, ont recherché une langue universelle pour abolir malentendus et incompréhensions.

• Au-delà de la langue, qui est le socle d’une identité culturelle, les hommes se distinguent par toutes ces coutumes symboliques qui les arrachent à la simple naturalité ; marquage du corps (tatouages), rites alimentaires, vestimentaires ou religieux, structures de la parenté, organisation de la société, visions du monde religieuse ou scientifique, avancement des techniques et formes artistiques. Ethnologues et historiens enseignent cette diversité souvent étonnante des cultures, comme on peut le lire chez Hérodote ou le voir au musée de l’Homme.

B. PLURALITÉ OU OPPOSITION ?

• Cette pluralité a longtemps existé dans une coexistence pacifique et une ignorance mutuelle. Pourtant, dès l’Antiquité, des peuples entrent en conflit en raison de leurs conceptions culturelles antagoniques : les Grecs contre les Barbares, ou contre les Perses ; l’Empire romain contre les tribus de Germanie ; ou les tribus arabes à l’assaut de l’Empire byzantin.

• Des oppositions religieuses ou politiques ont conduit, au cours de l’histoire, à des guerres qui ont déchiré le genre humain, jusqu’à des entreprises d’extermination raciales, comme la Shoah, ou religieuses, comme les guerres entre catholiques et protestants.

2. Affirmer l’unité du genre humain

A. L’UNITÉ SPÉCIFIQUE

• L’humanité est d’abord une réalité naturelle, celle d’une espèce vivante parmi d’autres, qui a son unité génétique, et qui peut se reproduire au sein de cette seule espèce.

• L’unité de l’humanité, en dépit des guerres, s’est affirmée par la découverte et la connaissance réciproque des peuples, grâce aux grands récits de voyages des navigateurs, aux historiens et aux ethnologues, qui nous font connaître la riche diversité des cultures, dont se nourrit aujourd’hui le tourisme de masse planétaire.

B. UNE EXIGENCE HUMANISTE

• Mais l’unité de l’humanité est aussi l’expression d’une volonté morale et politique qui, prend, dès l’Antiquité, la forme de l’idéal cosmopolitique : vouloir être citoyen du monde, pour Socrate et les Stoïciens, c’est vouloir dépasser les divisions et conflits interculturels pour affirmer l’universalité rationnelle du genre humain.

• La Déclaration des Droits de l’Homme reprend cet idéal universaliste en considérant que, par-delà la pluralité des peuples et des cultures, chaque homme jouit des mêmes droits
« naturels ». L’unité du genre humain s’établit ainsi en deçà et au-delà de la pluralité des cultures.

3. Articuler pluralité et unité

A. DÉGAGER L’UNIVERSEL DANS CHAQUE CULTURE

• Les religions, par-delà leur diversité, aspirent souvent à une même spiritualité et à une morale universelle, qui peut fonder une réconciliation œcuménique.

• La rencontre des cultures ne produit pas seulement des guerres, mais aussi des symbioses fécondes dans les domaines artistiques, médicaux, techniques ou environnementaux.

B. LUTTER POUR L’UNITÉ

• L’idéal humaniste et universaliste, depuis l’Antiquité et la Renaissance, nous guide vers l’unité de l’humanité à travers des valeurs comme la liberté et l’égalité, voire la fraternité universelle.

• La mondialisation engagée peut être ce mouvement d’unification du genre humain à travers un maximum de diversité culturelle préservée.

Conclusion

Si la pluralité des cultures a souvent été facteur d’incompréhension et de conflits, elle est aussi facteur de richesse à préserver dans une humanité réconciliée qui saurait imposer des valeurs universelles compatibles avec cette pluralité culturelle.

Télécharger le pdf en cliquant ici : « La pluralité des cultures fait-elle obstacle à l’unité du genre humain ? » – PAGH – Bac 2019


2e sujet :


Reconnaître ses devoirs, est-ce renoncer à sa liberté ? »

La question

• Le devoir moral ou politique est souvent vécu comme une contrainte : obligé d’aller voter, obligé de tenir sa promesse. Or la liberté est conçue comme le fait de pouvoir faire ce que l’on veut, donc d’échapper à toute contrainte.

• Reconnaître ses devoirs serait donc contraire à ma liberté. Peut-on cependant dégager une conception de la liberté qui soit compatible avec le sens du devoir, qui fonde toute morale ?

Plan détaillé

1. Reconnaître ses devoirs est une obligation

A. LE DEVOIR MORAL S’IMPOSE

• Le devoir moral dit : « Tu dois », ou « tu ne dois pas ». Il prend la forme du commandement, dans la Bible, ou de l’« impératif », chez Kant.

• Le devoir comme « impératif catégorique » ne se discute pas ; il est inconditionné et désintéressé. Il s’impose à ma volonté comme obligation non négociable. Kant soutient même qu’il ne peut y avoir de conflit des devoirs, donc que je n’ai même pas le choix entre plusieurs devoirs.

B. LA MISE EN QUESTION DU LIBRE ARBITRE

• La liberté se présente souvent comme liberté de choisir, ce qu’on appelle « libre arbitre ». Or, s’il est vrai que je suis libre de choisir de faire ou de ne pas faire mon devoir, je ne choisis pas le devoir lui-même qui, on l’a vu, s’impose à moi par la voix de Dieu, de la conscience, ou de la raison.

• De ce fait, le libre arbitre peut bien exister avant l’acte moral, liberté de le faire ou pas. Mais dans le contenu du devoir et dans sa réalisation même, le libre arbitre est aboli : je ne choisis pas mon devoir, ni ne choisis de ne pas le faire pendant que je le fais conformément à l’évidence du devoir.

2. Pourtant le devoir est signe de liberté

A. LA LIBERTÉ, POSTULAT DE L’ACTE MORAL

• Le devoir n’est moral que s’il est l’œuvre d’une volonté libre. La machine ou l’animal ne sont pas capables de devoir moral, car ils sont déterminés par l’instinct ou le mécanisme.

• Dans un monde entièrement déterminé, comme celui de la science, il n’y a pas de place pour le hasard, le choix et la liberté ; donc pas de place pour le devoir et la morale. C’est pourquoi, dans La Critique de la raison pratique, Kant dit la nécessité de « postuler » le libre arbitre pour fonder la moralité de l’acte moral ; sans quoi il n’y a que pur mécanisme.

B. LA LIBERTÉ COMME FIN DU DEVOIR

• Si, à première vue, reconnaître son devoir semblait s’opposer à ma liberté, il s’avère que le devoir est la preuve de ma liberté, puisqu’il me laisse le choix d’un acte volontaire dont je suis responsable, et m’érige ainsi en sujet moral.

• De plus, être capable de reconnaître mes devoirs, me fait connaître ma finalité morale, à savoir l’autonomie. Reconnaître ses devoirs, c’est se connaître comme doué d’une volonté libre capable d’obéir spontanément ou de désobéir à l’impératif de la raison, capable de faire le bien ou le mal.

3. vers une liberté supérieure

A. SUBIR SES DEVOIRS EST HÉTÉRONOMIE

• Une morale hétéronome conçoit le devoir comme imposé de l’extérieur, par la contrainte de la société ou de l’éducation, comme le soutient Durkheim.

• Dans ce cas, on ne reconnaît pas ses devoirs, mais on les subit, de gré ou de force. De tels devoirs de convention, relatifs et changeants, paraissent à juste titre arbitraires ou infondés. Ils s’imposent comme une contrainte contraire à notre liberté de juger et d’agir.

B. RECONNAÎTRE SES DEVOIRS EST AUTONOMIE

• L’autonomie morale suppose de « reconnaître » au sens fort ses devoirs, c’est-à-dire d’en connaître le fondement rationnel et la nécessité universelle.

• Auquel cas, la volonté reconnaît le devoir, non comme contrainte, mais comme obligation, c’est-à-dire libre acceptation de l’obéissance. Ce qu’est l’autonomie.

Conclusion

La moralisation de nos actes est ce passage d’une hétéronomie qui me fait percevoir mes devoirs comme autant de contraintes pesant sur ma liberté, comme chez l’enfant, à une autonomie qui me fait reconnaître mes devoirs comme une libre acceptation rationnelle. Alors la liberté n’est plus de « faire ce qu’on veut », mais de vouloir l’évidence de la raison universelle, par exemple dans le devoir de ne pas mentir.

Télécharger le pdf en cliquant ici : « Reconnaître ses devoirs, est-ce renoncer à sa liberté ? »-PAGH BAC S 2019


3e sujet :


« Analyse d’un texte de Freud extrait de L’avenir d’une illusion (1927) »

Le texte

« La science a beaucoup d’ennemis déclarés, et encore plus d’ennemis cachés, parmi ceux qui ne peuvent lui pardonner d’avoir ôté à la foi religieuse sa force et de menacer cette foi d’une ruine totale. On lui reproche de nous avoir appris bien peu et d’avoir laissé dans l’obscurité incomparablement davantage. Mais on oublie, en parlant ainsi, l’extrême jeunesse de la science, la difficulté de ses débuts, et l’infinie brièveté du laps de temps écoulé depuis que l’intellect humain est assez fort pour affronter les tâches qu’elle lui propose. Ne commettons-nous pas, tous tant que nous sommes, la faute de prendre pour base de nos jugements des laps de temps trop courts ? Nous devrions suivre l’exemple des géologues. On se plaint de l’incertitude de la science, on l’accuse de promulguer aujourd’hui une loi que la génération suivante reconnaît pour une erreur et remplace par une loi nouvelle qui n’aura pas plus longtemps cours. Mais ces accusations sont injustes et en partie fausses. La transformation des opinions scientifiques est évolution, progrès, et non démolition. Une loi, que l’on avait d’abord tenue pour universellement valable, se révèle comme n’étant qu’un cas particulier d’une loi (ou d’une légalité) plus générale encore, ou bien l’on voit que son domaine est borné par une autre loi, que l’on ne découvre que plus tard ; une approximation en gros de la vérité est remplacée par une autre, plus soigneusement adaptée à la réalité, approximation qui devra attendre d’être perfectionnée à son tour. Dans divers domaines, nous n’avons pas encore dépassé la phase de l’investigation, phase où l’on essaie diverses hypothèses qu’on est bientôt contraint, en tant qu’inadéquates, de rejeter. Mais dans d’autres nous avons déjà un noyau de connaissances assurées et presque immuables. »

Les enjeux du texte

• Dans cet extrait de L’Avenir d’une illusion, Freud, le père de la psychanalyse, examine les critiques adressées à la science, et tente d’y répondre.

• Cette défense de la science s’oppose principalement aux accusations venant de la religion, et reprochant à la science d’avoir détruit la foi au profit d’une connaissance bien incertaine. L’enjeu est donc de savoir si la science constitue un réel progrès vers la vérité, ou si elle est un gâchis inutile avec la perte dangereuse de la foi qu’elle provoque.

• Or l’auteur, dans cet ouvrage, critique ouvertement la religion comme « illusion », c’est-à- dire comme fausse croyance née de besoins inconscients de protection et de réconfort. La vérité scientifique doit, selon lui, dissiper cette illusion infantile et, par la science, permettre à l’humanité de devenir adulte.

Plan détaillé

1. Les ennemis de la science

A. LES ENNEMIS DÉCLARÉS

• Des « ennemis déclarés » sont les principales victimes de la science, ceux dont les convictions ont été ruinées par les découvertes scientifiques ; comme les partisans des croyances religieuses sur l’origine du monde et de l’homme.

• Galilée fut victime de ces « ennemis » déclarés, lorsque l’Inquisition le condamna pour avoir soutenu que la terre tourne.

B. LES ENNEMIS CACHÉS

• Encore plus nombreux, ces ennemis sont « cachés » en ce qu’ils prétendent accepter la science en apparence, mais la sapent de l’intérieur en insistant sur ses faiblesses et ses insuffisances. Ces faux amis sont des traîtres à la science, d’autant plus dangereux qu’ils s’en réclament.

• On peut supposer que ces ennemis cachés sont les auteurs de principales accusations contre la science auxquelles Freud répond : la science sait bien peu de choses ; l’histoire de la science consiste en une suite d’erreurs, la science est donc incertaine.

2. La science est-elle pauvre ?

A. L’OBJECTION : UN SAVOIR SCIENTIFIQUE LIMITÉ

• On reproche à la science d’avoir remplacé une religion qui explique tout, par des connaissances très limitées. On aurait donc perdu au change, on a été trompé par une imposture sur ce nouveau savoir.

• De fait, les grandes religions proposent une vision du monde exhaustive à travers leurs mythes et légendes. La science, au contraire, est souvent frustrante et décevante, donnant une petite part de vérité ouvrant sur une grande part d’inconnu.

B. LA RÉPONSE DE FREUD : LA JEUNESSE DE LA SCIENCE.

• Comparée à l’ancienneté des croyances religieuses, la science est « jeune ». Il faut donc être prudent et tolérer « l’infinie brièveté » (un bel oxymore !) du temps de la science. Ne condamnons pas à l’avance un enfant qui n’en est qu’à ses premiers et s’avère pourtant déjà plein de promesses.

• De fait, l’astronomie et la physique expérimentale commencent au XVI-XVIIe siècles, avec Galilée, puis Newton. La chimie et la biologie ne datent que du XIXe siècle, et pourtant les progrès et découvertes sont spectaculaires (ADN, manipulation génétique, théorie de l’évolution).

3. La science est-elle incertaine ?

A. L’OBJECTION : UNE HISTOIRE D’ERREURS

• La deuxième accusation objecte que la science n’est qu’une succession d’erreurs, corrigées par d’autres erreurs. En somme, tout serait faux dans la science, ou tout serait vérité provisoire et en sursis.

• De fait l’histoire des sciences est une suite d’erreurs, et c’est pour cela qu’il y a justement une histoire. Le géocentrisme de Ptolémée a été réfuté et remplacé par l’héliocentrisme de Copernic. L’univers infini de Newton et Einstein a remplacé le monde plein d’Aristote et de Descartes. Et chaque jour, chaque découverte scientifique réfute une théorie précédente, en attendant d’être elle-même réfutée.

B. LA RÉPONSE : LA SCIENCE EST UNE VÉRITÉ EN CONSTRUCTION

• L’auteur ne nie pas les erreurs scientifiques. Mais, il en donne une interprétation positive comme progrès de la vérité : l’histoire des sciences est « évolution, progrès, et non démolition. »

• Chaque étape de la science est perfectionnement d’une approximation, ou élargissement d’une hypothèse limitée. L’auteur pense peut-être à la théorie de la relativité d’Einstein qui remplace la mécanique newtonienne, en l’intégrant comme un cas particulier. On peut ajouter à l’argument de Freud, que ces réfutations et cette évolution sont un gage de vérité : en effet, comme le soutient Popper, la réfutabilité d’une hypothèse est critère de sa scientificité. En d’autres termes, une théorie qui explique tout et n’est jamais réfutable n’est pas vraie, comme Popper le reproche aux « fausses sciences » que sont à ses yeux le marxisme… et la psychanalyse de Freud justement ! Preuve que les défenseurs de la science ne sont pas toujours d’accord entre eux.

Conclusion

Freud conclut en distinguant un noyau de connaissances sûres, et une majorité d’hypothèses à vérifier. La science se caractérise par sa modestie et sa prudence dans sa démarche. Reste que si la vérité scientifique est peu contestée, la question reste ouverte sur son rapport à la foi : la science doit-elle remplacer la religion, ou les deux peuvent-elles coexister ?

Télécharger le pdf en cliquant ici : Analyse d’un texte de Freud extrait de L’avenir d’une illusion (1927) – PAGH – Bac S 2019