BARIER Ricet

Nous sommes 300 Millions

→ Interprété par les Frères Jacques

Nous sommes 300 millions, massés derrière la porte
Trop serrés pour remuer, trop tendus pour penser
Une seule idée en tête : la porte, la porte, la porte
Quand elle s’ouvrira, ce sera la ruée
La vraie course à la mort, la tuerie sans passion
Un seul gagnera, tous les autres mourront
Même pas numérotés, seul un instinct nous guide
On nous a baptisés : les spermatozoïdes.

Le prix de la victoire c’est une fille de joie
Nous sommes 300 millions et un seul l’aura
Elle se fout du vainqueur, elle ne choisit même pas
Elle se donne à tout le monde mais un seul à la fois
Elle attend bien tranquille dans son palais douillet
Le confort y est total, les serviteurs discrets
Pas de nuit, pas de jour, pas de bruit, que l’amour
L’amour, l’amour, l’amour, l’amour, l’amour, l’amour.

Nous bougeons lentement, faut pas s’ankyloser
Quand on est d’vant la porte, on voudrait s’arrêter
Si elle s’ouvrait maintenant, je serais bien placé
Mais non, les autres poussent, ça y est j’l’ai dépassée
Et la ronde continue, la ronde des prisonniers
Mais ce que l’on attend, c’n’est pas la liberté
On n’se parle même pas, on garde les yeux baissés
On ne regarde pas ceux qu’il faudra tuer.

Soudain on s’arrête tous …
Plus personne ne pousse …
C’est l’instant qu’on attend …
Très subtil changement …
On n’voit rien mais on l’sent …
Dehors, ça bouge lentement …
On espère, on redoute …
On n’bouge plus, on écoute …

Ça y est c’est parti, la porte est ouverte, c’est la ruée au dehors
Ne pas s’affoler, ne pas s’affoler sinon c’est la mort
Pas partir trop vite, la distance est longue, faut pas s’essouffler
Déjà les premiers ont été massacrés, bousculés, piétinés
Ce qui s’passe devant c’est pas important du moins pour l’instant,
La mort vient dans l’dos, le croche-pied vicelard et le piétinement
Le fouet bien en main j’en vois un qui s’approche, je l’attends
Il est a ma portée je m’retourne, vlan ! d’un coup d’fouet je l’descends.
Faut être attentif, tous les nerfs tendus, prévoir le danger
Tout c’qui s’passe autour, faut en être conscient, sentir et frapper.
Quand l’un tourne le dos, s’il est à portée on lui règle son sort
C’est la règle du jeu, la moindre pitié entraîne la mort.
Sacré Nom de Dieu, un coup d’fouet a sifflé juste derrière mes oreilles
Il faut être cinglé pour philosopher à un moment pareil
Le fouet tournoyant, je cavale à mort pour me dégager,
Le danger écarté, je reprends mon train, faut pas s’énerver,
Déjà la moitié, les trois quart sont morts, ça s’est clairsemé
On court plus lentement, on piétine des corps, on est fatigué …

Courir, courir, courir, courir, courir, courir,
Tenir, tenir, tenir, tenir, tenir, tenir,
Ceux qu’ont la rage de vivre, il n’y a que ceux-là qui tiennent
Maintenant on n’se bat plus, oh ce n’est plus la peine,
Les mecs tombent un à un, morts avant de toucher l’sol,
Exténués, épuisés, vidés, rincés, ras l’ bol,
C’est bon de se laisser choir, dormir comme les noyés
Mais ceux qui s’laissent tomber, c’est pour l’éternité.

Soudain je l’aperçois, il est devant mes yeux,
Il est là devant moi, ce palais merveilleux :
J’arrive ma toute belle, encore un p’tit effort !
Et je plonge dans la vie en sortant de la mort
Mais non, je n’suis pas seul, deux mecs m’ont précédé
Tellement épuisés qu’ils ne trouvent pas l’entrée
Je leurs tombe dessus, les écrase, les bouscule
Je leur piétine la gueule et j’entre dans l’ovule.

Que c’est beau … que c’est beau …

J’entre dans un Paradis,
Elle est là cette garce de vie
Pendant neuf mois entre elle et moi,
Ce sera l’Eden, le Nirvana.
J’suis l’vainqueur des 300 MILLIONS
Je sors du Néant, j’ai un nom
C’est merveilleux l’existence
Ca commence par des vacances …

Que c’est beau … que c’est beau …

Je vais en jouir à plein de ces neuf mois sans problème
Tranquille, baignant dans l’huile, sans amour et sans haine
Sans froidure ni chaleur, surtout sans société
Parce que les autres, les vaches, ils m’attendent à l’entrée
Tous les autres vainqueurs, ceux qui sont d’jà dehors,
Ils m’attendent pour se battre, pour voir qui s’ra l’plus fort.
Ouais, quand je sortirai, il n’y aura plus d’vacances,
Pendant soixante-dix ans, la bagarre recommence …

C’est la vie … c’est la vie … c’est la vie … ( ad libitum )