FERRÉ Léo

Les forains

Si l’on mettait le monde entier
Dans les chansons du coin de ma rue
Ça me ferait de quoi voyager
Si l’on mettait le cœur des gens
Dans les manèges des forains
Ça leur ferait de quoi s’aimer

Écoutez la chanson foraine
Qui parle des amants perdus
Ça sent l’amour et puis la peine
Tur-lu-tu-tu chapeau pointu
Il y’a des artilleurs
Il y’a des bonnes d’enfants
Il y’a des vieux messieurs
Il y’a des gens heureux
Écoutez la chanson foraine
Qui parle des amants perdus
Ça sent l’amour et puis la peine
Tur-lu-tu-tu chapeau pointu

Je te paierai un beau fusil
Pour massacrer tous ces pantins
Qu’on voit à la fête foraine
Et puis j’accrocherai ton cœur
A ce manège de deux sous
Qui moud bien tendrement ma peine

Écoutez la chanson foraine
Qui parle des amants perdus
Ça sent l’amour et puis la peine
Tur-lu-tu-tu chapeau pointu
Il y’a des fiancés
Il y’a des tas d’amants
Il y’a un bout de Paris
Il y’a tous mes soucis
Écoutez la chanson foraine
Qui parle des amants perdus

Ça se passe à Paris sur Seine
Tur-lu-tu-tu chapeau pointu
Tur-lu-tu-tu n’en parlons plus!

Tu penses à quoi ?

Tu penses à quoi ?
À la langueur du soir dans les trains du tiers monde ?
À la maladie louche, aux parfums de secours ?
À cette femme informe et qui pourtant s’inonde ?
Aux chagrins de la mer planqués au fond des cours ?
Tu penses à quoi ?
À l’avion malheureux qui cherche un champ de blé ?
À ce monde accroupi les yeux dans les étoiles ?
À ce mètre inventé pour mesurer les plaies ?
À ta joie démarrée quand je mets à la voile ?
Tu penses à quoi ?
À cette rouge gorge accrochée à ton flanc ?
Aux pierres de la mer lisses comme des cygnes ?
Au coquillage heureux et sa perle dedans ?
Qui n’attend que tes yeux pour leur faire des signes ?

Tu penses à quoi ?
Aux seins exténués de la chienne maman ?
Aux hommes muselés qui tirent sur la laisse ?
Aux biches dans les bois, au lièvre dans le vent ?
A l’aigle bienheureux, à l’azur qu’il caresse ?
Tu penses à quoi ?
À l’imagination qui part demain matin ?
À la fille égrenant son rosaire à pilules ?
À ses mains mappemonde où tremble son destin ?
À l’horizon barré où ses rêves s’annulent ?
Tu penses à quoi ?
À ta voix sur le fil quand je cherche ta voix ?
À toi qui t’enfuyais quand j’allais te connaître ?
À tout ce que tu sais de moi et à ce que tu crois ?
À ce que je connais de toi sans te connaître ?

Tu penses à quoi ?
À ce temps relatif qui blanchit mes cheveux ?
À ces larmes perdues qui s’inventent des rides ?
À ces arbres datés où traînent des aveux ?
A ton ventre rempli et à l’horreur du vide ?
Tu penses à quoi ?
À la brume baissant son compteur sur ta vie ?
À la mort qui sommeille au bord de l’autoroute ?
À tes chagrins d’enfant dans les yeux des petits ?
A ton cœur mesuré qui bat, coûte que coûte ?
Tu penses à quoi ?
À ta tête de mort qui pousse sous ta peau ?
À tes dents déjà mortes et qui rient dans ta tombe ?
À cette absurdité de vivre pour la peau ?
À la peur qui te tient debout lorsque tout tombe ?

Tu penses à quoi ?
Dis
Tu penses à quoi ?
À moi ?
Des fois ?…

Je t’aime


Le bonheur ça n’est pas grand-chose
Madame?
C’est du chagrin qui se repose
Alors
Il ne faut pas le réveiller
Le bonheur…
Qu’est-ce que c’est ?
— Le Bonheur, extrait.

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