NERUDA Pablo

La centaine d’amour

(XCII)

Mon amour, si je meurs et si tu ne meurs pas,
mon amour, si tu meurs et si je ne meurs pas,
n’accordons pas à la douleur plus grand domaine :
nulle étendue ne passe celle de nos vies.

Poussière sur le blé, et sable sur les sables
l’eau errante et le temps, et le vent vagabond
nous emportaient tous deux comme graine embarquée.
Nous pouvions dans ce temps ne pas nous rencontrer.

Et dans cette prairie où nous nous rencontrâmes,
mon petit infini, nous voici à nouveau.
Mais cet amour, amour, est un amour sans fin,

et de même qu’il n’a pas connu de naissance
il ignore la mort, il est comme un long fleuve,
il change seulement de lèvres et de terre.

— La centaine d’amour

traduit de l’espagnol par Claude Couffon, Jean Marcenac et André Bonhomme
© Du monde entier, Gallimard

Pablo Neruda, nom de plume de Ricardo Eliecer Neftalí Reyes Basoalto, est un poète, écrivain, diplomate, homme politique et penseur chilien, né en 1904 à Parral et mort en 1973 à Santiago du Chili. Alors que nous célébrons le quarantième anniversaire de sa disparition, la dépouille du poète chilien sera exhumée début avril, afin d’élucider le mystère de sa mort et de statuer sur un éventuel assassinat commandité par la dictature militaire de Pinochet.