[1741-1794]
Moraliste français, d’une tragique lucidité, qui fut un républicain de la première heure. Né en Auvergne, probablement fils naturel de Jacqueline de Montrodeix et de son chanoine, il fut déclaré de parents inconnus et adopté par François Nicolas et sa femme. Sébastien Roch Nicolas fut envoyé à Paris vers l’âge de dix ans pour fréquenter le collège, où, quoique peu discipliné, il remporta de nombreux prix. Il refusa de devenir homme d’Église et commença une longue carrière de mercenaire des lettres (sous le nom de Nicolas de Chamfort), après des voyages en Belgique et en Allemagne. Ses premiers textes, parmi lesquels figure une comédie satirique (la Jeune Indienne, 1764) lui valurent, en même temps que des accusations d’immoralité, un vif succès littéraire: il collabora au Journal encyclopédique, fréquenta l’aristocratie et le monde des lettres, reçut plusieurs prix et devint secrétaire des commandements de Condé (qu’il quitta en 1777). Après avoir été élu à l’Académie française en 1782, il se retira à la campagne, puis reçut, en 1786, une pension royale (il devint alors secrétaire de la sœur du roi). À la suite de Mirabeau, pour qui il rédigea plusieurs textes, il prêcha la démocratie, puis fonda la Société de 1789. En 1792, il fut nommé, avec Carra, à la direction de la Bibliothèque nationale. Malgré son enthousiasme pour la Révolution, et en raison de son hostilité à la Terreur, il fut plusieurs fois emprisonné, et se suicida, laissant des « petits carrés de papier » qui firent sa gloire: les Maximes et pensées, caractères et anecdotes, qui furent publiées après sa mort en l’an II de la République, puis en 1803, sont le témoignage impitoyable de la fin d’un monde. Des confessions déguisées révèlent, en même temps que la tristesse et la misanthropie de leur auteur, sa foi dans l’intelligence, seul refuge de l’homme.•••
Les raisonnables ont duré, les passionnés ont vécu.
Apprendre à mourir! Et pourquoi donc? On y réussit très bien la première fois!
Au lieu de vouloir corriger les hommes de certains travers insupportables à la société, il aurait fallu corriger la faiblesse de ceux qui les souffrent
Ce que j’ai appris, je ne le sais plus. Le peu que je sais encore, je l’ai deviné.
Dans le monde, disait M…, vous avez trois sortes d’amis: vos amis qui vous aiment; vos amis qui ne soucient pas de vous, et vos amis qui vous haïssent.
Dans les grandes choses, les hommes se montrent comme il leur convient de se montrer; dans les petites, ils se montrent comme ils sont.
Donner est un plaisir plus durable que recevoir; car celui des deux qui donne est celui qui se souvient le plus longtemps.
En apprenant à connaître les maux de la nature, on méprise la mort; en apprenant à connaître ceux de la société, on méprise la vie.
En vivant et en voyant les hommes, il faut que le cœur se brise ou se bronze.
Il n’y a que l’inutilité du premier déluge qui empêche Dieu d’en envoyer un second.
Il y a des sottises bien habillées comme il y a des sots très bien vêtus.
Il y a loin de l’homme qui méprise l’argent à celui qui est véritablement honnête.
Il y a peu de vices qui empêchent un homme d’avoir beaucoup d’amis, autant que peuvent le faire de trop grandes qualités.
Il y a plus de fous que de sages, et, dans le sage même, il y a plus de folie que de sagesse.
L’ambition prend aux petites âmes plus aisément qu’aux grandes, comme le feu prend plus aisément à la paille, aux chaumières qu’aux palais.
L’amour plaît plus que le mariage, par la raison que les romans sont plus amusants que l’histoire.
L’amour, tel qu’il existe dans la société, n’est que l’échange de deux fantaisies et le contact de deux épidermes.
L’homme, dans l’état actuel de la société, me paraît plus corrompu par sa raison que par ses passions.
La facilité est le plus beau don de la nature à la condition qu’on en use jamais.
La générosité n’est que la pitié des âmes nobles.
La justice des hommes est toujours une forme de pouvoir.
La pire de toutes les mésalliances est celle du coeur.
La plus perdue de toutes les journées est celle où l’on n’a pas ri.
La société est composée de deux grandes classes: ceux qui ont plus de dîners que d’appétit et ceux qui ont plus d’appétit que de dîners.
La société serait une chose charmante si on s’intéressait les uns les autres.
La société, qui rapetisse beaucoup les hommes, réduit les femmes à rien.
Les succès produisent les succès, comme l’argent produit l’argent.
Les trois quarts des folies ne sont que des sottises.
On n’imagine pas combien il faut d’esprit pour n’être pas ridicule.
Pour qu’une liaison d’homme à femme soit vraiment intéressante, il faut qu’il y ait entre eux jouissance, mémoire ou désir.
Pour être heureux en vivant dans le monde, il y a des côtés de son âme qu’il faut entièrement paralyser.
Qu’est-ce qu’une maîtresse? Une femme près de laquelle on ne se souvient plus de ce qu’on sait par cœur, c’est-à-dire de tous les défauts de son sexe.
Quelque mal qu’un homme puisse penser des femmes, il n’y a pas de femme qui n’en pense encore plus mal que lui.
Si l’on doit aimer son prochain comme soi-même, il est au moins aussi juste de s’aimer comme son prochain.
Tout homme qui, à quarante ans, n’est pas misanthrope, n’a jamais aimé les hommes.
Un homme amoureux est un homme qui veut être plus aimable qu’il ne peut; et voilà pourquoi tous les amoureux sont ridicules.
Vivre est une maladie, dont le sommeil nous soulage toutes les seize heures; c’est un palliatif: la mort est le remède.