[1868-1951]
« Penser, c’est dire non. Remarquez que le signe du oui est d’un homme qui s’endort ; au contraire le réveil secoue la tête et dit non. Non à quoi ? Au monde, au tyran, au prêcheur ? Ce n’est que l’apparence. En tous ces cas-là, c’est à elle-même que la pensée dit non. Elle rompt l’heureux acquiescement. Elle se sépare d’elle-même. Elle combat contre elle-même. Il n’y a pas au monde d’autre combat. Ce qui fait que le monde me trompe par ses perspectives, ses brouillards, ses chocs détournés, c’est que je consens, c’est que je ne cherche pas autre chose. Et ce qui fait que le tyran est maître de moi, c’est que je respecte au lieu d’examiner. Même une doctrine vraie, elle tombe au faux par cette somnolence. C’est par croire que les hommes sont esclaves. Réfléchir, c’est nier ce que l’on croit. Qui croit ne sait même plus ce qu’il croit. Qui se contente de sa pensée ne pense plus rien. »
— Propos sur les pouvoirs, § 139.
Le pessimisme est d’humeur; l’optimisme est de volonté. Tout homme qui se laisse aller est triste.
[In : Propos sur le bonheur – 1928]
[Sur pessimisme et optimisme : voir également la page Gramsci]
Il y a plus de volonté qu’on ne croit dans le bonheur.
[Ibid.]
« Je voudrais pourtant le voir grandir, le vrai démocrate, celui qui vivrait avec six mille francs, qui serait vêtu comme un commis, et qui prendrait l’omnibus. Qui promènerait son veston râpé des Postes au commerce, de l’Instruction publique aux Finances, portant sa probité sur lui. Je le vois donnant cinquante mille francs de son traitement ministériel aux pauvres, ignorant les autos, les actrices et les petits soupers ; redouté de ses collègues ; célèbre et aimé partout. Plus tard président, vêtu comme vous et moi, et recevant les rois sans cérémonie. Voilà un programme qui devrait plaire à un vrai ambitieux. La richesse serait remise à son rang ; et ce serait déjà presque toute la justice.»
— Cité par Marcus Malte dans Le Garçon, Ed° Zulma, 2016
« La démocratie n’est pas dans l’origine populaire du pouvoir, elle est dans son contrôle. La démocratie, c’est l’exercice du contrôle des gouvernés sur les gouvernants. Non pas une fois tous les cinq ans, ni tous les ans, mais tous les jours. »
Le plus difficile au monde est de dire en y pensant ce que le monde dit sans y penser.
[In : Histoire de mes pensées]
Toutes nos erreurs sont des jugements téméraires, et toutes nos vérités, sans exception, sont des erreurs redressées.
[In : Propos]

La mort est une maladie de l’imagination.
— Ibid.
Le secret de l’action, c’est de s’y mettre.
— Source à vérifier
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L’immense danger, et l’urgence, toujours aussi pressante, de tirer l’humanité de la barbarie proche commandent d’aller droit au but humain. Il faut que l’enfant connaisse le pouvoir qu’il a de se gouverner, et d’abord de ne point se croire; il faut qu’il ait aussi le sentiment que ce travail sur lui-même est difficile et beau. Je ne dirai pas seulement que tout ce qui est facile est mauvais; je dirai même que ce qu’on croit facile est mauvais. Par exemple l’attention facile n’est nullement l’attention; ou bien alors disons que le chien qui guette le sucre fait attention. Aussi je ne veux pas trace de sucre; et la vieille histoire de la coupe amère dont les bords sont enduits de miel me paraît ridicule. J’aimerais mieux rendre amers les bords d’une coupe de miel. Toutefois ce n’est pas nécessaire; les vrais problèmes sont d’abord amers à goûter; le plaisir viendra à ceux qui auront vaincu l’amertume. Je ne promettrai donc pas le plaisir, mais je donnerai comme fin la difficulté vaincue; tel est l’appât qui convient à l’homme; c’est par là seulement qu’il arrivera à penser au lieu de goûter.
Tout l’art est à graduer les épreuves et à mesurer les efforts; car la grande affaire est de donner à l’enfant une haute idée de sa puissance, et de la soutenir par des victoires; mais il n’est pas moins important que ces victoires soient pénibles, et remportées sans aucun secours étranger. Le défaut de ce qui est intéressant par soi, c’est qu’on n’a pas de peine à s’y intéresser, c’est qu’on n’apprend pas à s’y intéresser par volonté. C’est pourquoi je méprise jusqu’au beau langage, qui est une manière de rendre l’attention facile. Et non seulement l’enfant doit être capable de vaincre l’ennui et l’abstraction; il doit aussi savoir qu’il en est capable; c’est là-dessus qu’il faut mettre l’accent, et ce n’est qu’appliquer à la culture de l’esprit les principes qu’on ne peut
oublier quand on enseigne la gymnastique. Essayez donc cette rude méthode, et vous verrez aussitôt une belle ambition, une ambition d’esprit que n’ont pas les chiens.
[In : Propos sur l’éducation – II]
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[…] Le maître ne doit point dire : «Faites ceci ou faites cela pour me plaire.» C’est usurper sur les parents. Et l’enfant, qui a une extrême pudeur là-dessus, ressentira souvent toutes les preuves d’affection comme des espèces d’injustes contraintes. L’accent même de l’affection déplaît chez ceux qui n’ont point droit de le prendre. De là vient que les sentiments paternels, chez tout autre homme que chez le père, sont si aisément ridicules. Enfin, chaque relation de société a sa nuance propre; c’est au père qu’il convient d’agir en père, au maître en maître. […] Il faut que chacun soit bien ce qu’il doit être, et que l’harmonie naisse des différences. […]
J’ai observé, et cela est connu de ceux qui ont appris le métier, que dès que l’enfant se découvre le pouvoir d’affliger réellement le maître par la paresse ou la frivolité, aussitôt il en abuse. Autant que je sais, le désordre suit promptement, dès qu’une bonté de cœur se montre. Enfin, l’école n’est nullement une grande famille. A l’école se montre la justice qui se passe d’aimer, et qui n’a pas à pardonner, parce qu’elle n’est jamais réellement offensée. La force du maître, quand il blâme, c’est que l’instant d’après il n’y pensera plus; et l’enfant le sait très bien. Ainsi la punition ne retombe pas sur celui qui l’inflige. Au lieu que le père se punit lui-même dans son fils.
[In : Propos sur l’éducation – IX]
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Le souvenir commence avec la cicatrice.
[In : Propos sur l’Éducation]
Dès que nous tenons une opinion, elle nous tient.
[Ibid]
Idéal : modèle qu’on se compose, en vue de l’admirer et de l’imiter. L’idéal est toujours nettoyé d’un peu de réalité qui ferait tache.
[In : Définitions]
Un homme savant a compris un certain nombre de vérités. Un homme cultivé a compris une certain nombre d’erreurs. Et voilà toute la différence entre l’esprit droit et l’esprit juste.
[In : Les vigiles de l’esprit]
Tout homme persécute s’il ne peut convertir. A quoi remédie la culture qui rend la diversité adorable.
— Ibid.